piano préparé

La « préparation » du piano

Piano préparé

L’une des inventions les plus spectaculaires et les plus reprises de John Cage est le piano préparé vers la fin des années trente. Il s’agit d’un piano sur les cordes duquel on fixe différents objets (clous, vis, gommes, fourchettes, couteaux etc…) ce qui produit des sons complexes absolument imprévisibles et transforme le piano en instrument à percussion. Inventé, a vrai dire, le piano préparé l’avait déjà été par Henry Cowell, auparavant, dans ses expérimentations. Mais c’est Cage qui l’a réellement développé et popularisé, au point qu’il passe, aujourd’hui pour son créateur.

Voici ce que Cage en dit:

« Vers la fin des années trente j’étais employé comme accompagnateur des cours de danse moderne à la Cornish School de Seattle. Ces classes étaient dirigées par Bonnie Bird qui avait été un membre de la Compagnie Martha Graham. Parmi ses élèves se trouvait une danseuse extraordinaire, Syvilla Fort, qui sera , plus tard, associée de Katherine Dunham à New York.

Trois ou quatre jours avant qu’elle donne son spectacle « Bacchanale », Sylvilla me demande d’écrire une musique pour celui-ci. J’acceptai.

A cette époque, j’avais deux façons de composer: pour piano ou instrument d’orchestre dans un style dodécaphonique (j’avais étudié avec Adolph Weiss et Arnold Schoenberg); et pour ensembles de percussions, des pièces pour trois, quatre ou six interprètes.

Le théâtre de la Cornish School ou le spectacle devait se tenir n’avait pas de dégagements, autour de la scène. Il n’y avait pas, non plus, de fosse d’orchestre mais, seulement, un piano dans un coin. Je ne pouvais donc pas utiliser d’instrument de percussion pour la chorégraphie de Sivilla, qui était censée suggérer l’Afrique, il n’y avait pas la place. J’étais obligé d’écrire une pièce pour piano.

Je passai une journée entière à essayer de trouver une série de douze tons qui sonne Africain. Sans résultat. Je compris que ce qui n’allait pas, n’était pas moi, mais le piano. Je décidai de le changer. 

En plus d’avoir étudié avec Weiss et Schoenberg, j’avais aussi étudié avec Henry Cowell. Je l’avais souvent entendu jouer d’un piano de concert et changer les sons en pinçant ou en étouffant les cordes avec les doigts et les mains. J’avais particulièrement aimé l’entendre jouer « The Banshee ». Dans cette pièce, Cowell commençait par bloquer la pédale de soutien avec une cale, ou par un assistant, notamment moi-même, parfois, et debout à coté du piano il produisait la musique par des frictions longitudinales sur les cordes basses avec les doigts ou les ongles et par brossage en diagonale avec la paume des mains. Dans une autre pièce, il utilisait un œuf à repriser, le déplaçant le long des cordes en jouant des trilles sur le clavier; ça produisait un glissando d’harmoniques.

 Ayant décidé de changer le son du piano pour m’accorder à la « Bacchanale » de Syvilla Fort, j’allai dans la cuisine et pris un moule à tarte que je plaçai sur les cordes du piano. Je jouai quelque notes. Le son de l’instrument avait complètement changé mais le moule à tarte se déplaçait à cause des vibrations, et, après un moment, certains des sons transformés ne l’étaient plus. J’essayai des objets plus petits, des clous entre les cordes, mais ils sautaient et tombaient par terre lors du jeu. Il m’apparût que des vis et des écrous resteraient en place. C’est ce qui se passa. Et j’étais ravi de constater qu’en une seule préparation deux sortes de sons étaient possibles: les premiers résonnants, les autres doux et étouffés. Les sons doux étaient produits à chaque fois que la pédale douce était enfoncée. J’écrivis la « Bacchanale » rapidement et dans l’excitation de la découverte.

La première fois que je disposai des objets entre les cordes c’était dans la volonté de « posséder » les sons, d’être capable de les répéter. Mais, dès que la musique quitta mon domicile et s’en alla de piano en piano et de pianiste en pianiste, il devint clair que, non-seulement, il n’y avait pas deux pianistes qui sonnaient pareil, mais également que chaque piano produisait un son différent de chaque autre. Au lieu de pouvoir répéter, nous sommes placés, dans la vie, devant des qualités et des caractéristiques uniques à chaque occasion.

Le piano préparé, les impressions que je ressentais du travail d’amis artistes, de l’étude du bouddhisme Zen, des promenades dans les champs et les bois à la recherche de champignons, tout me conduisait à me réjouir des choses comme elles venaient, comme elles se produisaient, plutôt que pour les posséder, les conserver ou les forcer à être. »

 

Liens

Appli Piano Préparé & appli 4’33 »

John Cage Site Officiel

Bibliographie

« John Cage » de Jean-Yves Bosseur – éditions Minerve

« Silence » de John Cage éditions Denoël X-Trême

« Conversations avec John Cage » de Richard Kostelanetz

« Pour les oiseaux » de Daniel Charles; entretiens – éditions de L’Herne

John Cage « Sonates et Interludes pour piano préparé » par Joshua Pierce

John Cage « Sonata IV for prepared piano » par Tim Ovens

 

 

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