Harmonie – Penser avec les intervalles
L’harmonie telle qu’elle est envisagée traditionnellement, à la fois verticalement et horizontalement, utilise des notes et des tonalités c’est-à-dire des points et des ensembles. Le jeu tonal consiste à nous suggérer une tonalité pour finalement en dévoiler une autre. C’est ce qu’on appelle l’ambiguïté tonale: un accord (un sous-ensemble) peut appartenir à plusieurs tonalités (plusieurs ensembles) à la fois.
Jeu délicieux, bien sûr, mais comment s’en échapper, ne pas s’y laisser enfermer?
C’est ce que nous allons aborder dans cette série d’articles sur l’harmonie vue sous l’angle des intervalles plutôt que des notes, des distances plutôt que des points, à la fois verticalement (les accords) et horizontalement (l’enchaînement des fondamentales).
On voit tout de suite que les intervalles (les distances) peuvent s’additionner, se soustraire, se multiplier et se diviser, ouvrir de nouvelles possibilités ou, en tous cas, des chemins moins fréquentés. De plus, chaque intervalle possède son double en miroir(quarte inversée=quinte) dans le système à douze notes; pas tout à fait le même mais pas vraiment différent. Des chemins de traverse…
Les accords en tierces
D’abord la dimension verticale.
Les accords constitués de tierces empilées sont les plus classiques, les plus répandus; c’est donc par eux que nous commencerons.
On appelle accord parfait, un accord de trois sons dont la quinte est juste et qui se trouve dans sa position fondamentale.
Cet accord est constitué de deux tierces: Do-Mi et Mi-Sol soit une tierce majeure suivie d’une tierce mineure.
On aura reconnu un accord de septième de dominante: Do7 en l’occurrence. Ici il y aura successivement: 3ce majeure, 3ce mineure, 3ce mineure.
Cet accord qui est un Do7 avec neuvième, onzième augmentée et treizième(Do7 9 #11 13) est constitué, lui aussi de tierces empilées, successivement: majeure, mineure, mineure, majeure, majeure, mineure.
On peut ainsi, en les choisissant, empiler les tierces jusqu’à obtenir des accords de douze tons non répétés. Nous ne développerons pas ce cas très particulier d’harmonie mais il peut constituer une voie intéressante.
Enchaînements harmoniques
Puis la dimension horizontale.
Enchaînements par tierces
La règle sera simple: établir une ligne de basse par enchaînement exclusif de tierces majeures ou mineures, montantes ou descendantes.
Pour tous les exemples, l’altération n’est valable que pour la note qu’elle précède.
Chaque note de cette ligne de basse sera la fondamentale d’un accord de trois sons, mineur ou majeur.
Tout en gardant, pour l’instant, la fondamentale à la basse, on aura tout intérêt à renverser, parfois, le reste de l’accord pour obtenir des mouvements plus « harmonieux » entre les accords
Comme nous l’avons vu précédemment, les notes peuvent, et doivent parfois, changer d’octave, ce qui amène à renverser l’intervalle, mesures 6-7 où la tierce majeure Réb-Fa (dans la ligne de basse) devient la sixte mineure Réb-Fa.
Il peut être intéressant de construire une ligne de basse dont les notes ne se répètent pas, même à l’octave, c’est à dire une série. Ce qui renforce l’imprévisibilité des enchaînements.
ou encore:
Accords suspendus et renversements
On peut introduire des accords suspendus, sus2 et sus4 (mesures 3 et 4). On notera le renversement sur le dernier accord, (4 6) quinte à la basse, qui ne modifie ni le mouvement des basses par tierces (La-Do) ni même le mouvement des fondamentales (La-Fa) et qui évite les enchaînements trop systématiques d’accords en positions fondamentales.
Un exemple utilisant les renversements:
Cet exemple montre un exemple d’accords à quatre sons, renversés pour produire le moins de mouvement entre les voix, s’enchaînant en tierces et secondes par les fondamentales.
On peut également maintenir la basse dans une seule tonalité:
ou la mélodie(note la plus haute):
Il peut être intéressant d’introduire comme pas harmonique, comme intervalle d’enchaînement entre les fondamentales la quarte augmentée pour rompre le systématisme des enchaînements par tierces:
Enfin, pour accroître la diversité des enchaînements, on pourra introduire également des enchaînements par pas de secondes:
Conclusion
On voit avec le dernier exemple, que la seule règle d’enchaînement restante est l’évitement des quartes et des quintes qui se trouve, justement, être l’intervalle d’enchaînement privilégié de l’harmonie traditionnelle notamment dans les cadences.
Tous les enchaînements sont donc valides sauf ceux-là, ce qui amène, sans être révolutionnaire, un peu de fraîcheur et de surprise.
On aura remarqué qu’à aucun moment les notions de tonalité n’ont été abordées. Seuls les intervalles d’enchaînement entre les accords sont pris en compte. Il en résulte une large ouverture tonale favorisant tout à la fois une certaine imprévisibilité et une grande cohérence.
Dans le prochain article nous étudierons les accords par empilement de quartes, de quintes et de secondes.
Jean-Michel Darrémont
Liens
Le jazz n’est pas en reste avec une approche mélodique par les intervalles montrée ici par Yann Viet
Toujours pour le jazz, un ouvrage: A chromatic approach to jazz harmony and melody de David Liebman